La digue routière du Mont Saint Michel

La digue routière du Mont Saint Michel

Pendant un siècle, les défenseurs du patrimoine ont bataillé ferme contre la digue routière qui a supprimé l’insularité du Mont Saint Michel et accéléré son ensablement. A force d’obstination, ils ont fini par gagner. Depuis mars 2015, la mer, à nouveau, ceinture l’ Abbaye aux grandes marées. Une passerelle remplace l’ancienne digue. 

Le combat de la digue routière (1879-2015) au Mont Saint Michel

«On la coupera, on la coupera pas, quoi donc ? La digue bien-sûr !» En cette fin de XIX eme siècle, les convives de la Mère Poulard manifestent leur colère contre la digue routière dans le livre d’Or de la célèbre auberge. La digue en question rattache le Mont Saint Michel au continent, depuis 1879. Cette route a enflammé les esprits dès sa conception. A peine la digue a-t-elle atteint le pied du rocher que, déjà, se manifestent les premières oppositions.  Ils proviennent des Beaux-Arts qui lui reprochent d’enlaidir le Mont et d’accélérer son ensablement. Au contraire, les Ponts-et-Chaussées la défendent, au nom «de l’utilité et du progrès». Les journalistes relaient leurs points de vue. A l’Assemblée, les députés et les sénateurs s’affrontent dans de violentes joutes verbales. La digue du Mont Saint Michel est devenue une affaire nationale. 

Le Mont Saint Michel en automne

Les Montois, indifférents, au début, perçoivent, bien vite, tout le bénéfice qu’ils peuvent en tirer. La digue insubmersible permet un accès permanent au Mont. Dès le début du siècle, une ligne de chemin de fer amène directement les visiteurs au pied des remparts (100 000 visiteurs/an). Le tourisme est lancé ! Les Montois mettent sur pied un service d’accueil. Restaurants, musées et magasins de souvenirs, remplacent les maisons de pêcheurs, le long de la grande rue. Pendant tout le XX eme siècle, les Montois défendront, bec et ongles, «leur» digue. Ni l’Etat, ni les associations de défense du patrimoine, comme les Amis du Mont Saint Michel, ne parviendrons à couper «l’hideux pédoncule», comme le surnommait un touriste.

La digue du Mont côté Couesnon

Ceux-ci arrivent de plus en plus nombreux. Il faut bien les recevoir. Un parking, sommaire, sableux, va se greffer sur la digue, coté Couesnon. On compte 80 voitures à la Pentecôte 1912. Un cap va être franchi, lors du Millénaire Monastique, en 1966. De grandes manifestations religieuses sont organisées à l’Abbaye. Un second parking est ouvert, coté Avranches, agrandi au fil des décennies. L empreinte, énorme sur l’environnement, est de 15 hectares, soit près d’un kilomètre et demi de long. Ce sont, maintenant, en plus, des centaines de camping car qui colonisent les herbus ! L’aspect visuel, désastreux, est indigne du premier site français, classé Patrimoine mondial de l’Unesco (1979). 

Les célèbres moutons des pré-salés

Cet immense parking présente un défaut majeur. Il est submersible ! Une semaine, sur deux, les grandes marées le recouvrent. Les gardiens doivent évacuer les voitures avant l’arrivée de la mer. Lors des grosses journées d’affluence, cette opération demande, au moins, 45 minutes. Il arrive qu’un étourdi oublie sa voiture, en péril de mer. Un haut parleur le met en garde. « Attention, attention, les visiteurs sont priés d’évacuer leur véhicules, dans les plus brefs délais, à cause de la marée montante». Parfois, malgré les appels, des voitures finissent noyées…Les pompiers les attachent, évitant, ainsi, qu’elles ne soient emportées par la marée descendante. 

Les voitures qui arrivent, sur la digue – routière, à mer est haute sont stationnées, en épi, sur la chaussée, voire dans un polder. Les touristes effectuent, alors, une balade de deux kilomètres à pied, pour se rendre au Mont Saint Michel. L’été, lors des «ponts» de la Pentecôte et de l’ascension, des bouchons, parfois longs de 5 kilomètres rendent l’accès au site particulièrement difficile.

Vu le nombre de touristes, près de 3 millions en 2020, le parking était devenu obsolète.

Edouard Balladur visite le Mont Saint Michel le 1° avril 1995. Le Premier ministre, accompagné de son ministre de l’Environnement, Michel Barnier, lance officiellement les travaux de Rétablissement du Caractère Maritime du Mont Saint Michel. Les jours de la digue – routière sont comptées. Personne n’en a vraiment conscience, à l’époque. L’annonce laisse septique les Montois qui en vu d’autres. Ministres (Pierre Méhaignerie) et Président de la République (François Mitterrand) ont voulu, dans le passé, sauver le Mont Saint Michel des sables…et la digue est toujours là.

Création et travaux de la nouvelle passerelle d’accès au Mont Saint Michel

Mais cette fois c’est la bonne ! L’affaire est gérée par la Région Basse -Normandie, dans le cadre d’un Syndicat mixte. Le premier chantier consiste à édifier un nouveau barrage sur le Couesnon (2006 – 2009). L’eau de la marée stockée dans le canal, relâchée brutalement, à marée basse, chasse les sédiments accumulés au pied de l’Abbaye depuis plus d’un siècle. Le Couesnon est divisé en deux bras. L’un de ses estuaires part à l’Ouest, oriente son cours vers la Bretagne. Le second fleuve doit passer devant le Mont Saint et se diriger vers Avranches, la Normandie. Cette opération nécessite, obligatoirement, la destruction de la digue – routière et des parkings. L’arasement de la digue commence en février 2015. Un mois, plus tard, le Mont  redevient une île, lors de la fameuse «marée du siècle». 

Contes et légendes du Mont Saint Michel

Le nouveau site du Mont Saint Michel

Auparavant, une grande aire de stationnement est aménagée, à terre dans les polders, éloignée de plusieurs centaines de mètres des herbus, Loi Littoral oblige (2010 – 2012). Les visiteurs sont séparés des saisonniers du Mont, des bus et des camping-car. Au fil des années, le parking s’intègre dans le paysage, caché par la végétation. 20 000 arbustes et 2000 arbres ont été planté. Un grand bâtiment fait office de tourisme pour les deux régions et le Mont. Toilettes, change-bébé, chenil, sont à la disposition des visiteurs. Ils se rendent au Mont Saint Michel, à pied, par un sentier aménagé, par un système de navettes motorisées, ou par des calèches. Les navettes s’arrêtent à 300 mètres du pied du  Mont, offrant une vue magnifique et dégagée sur le site. L’océan de voiture a laissé place à une immense plage, soulignée par la ligne des remparts. La digue-routière, détruite, a été remplacé par une nouvelle digue sur près d’un kilomètre qui traverse le pré–salé. Elle est prolongée par une passerelle, longue de 750 mètres, au dessous de laquelle, coule un bras du Couesnon. Elle s’achève par un gué en béton, submersible, sur une centaine de mètres. 

Aux grandes marées, le Mont Saint Michel, redevient une île, 30 à 40 fois par an. Enfin !  Hélas, les grandes marées d’équinoxe ne sont pas vraiment touristiques. En effet, la haute mer a lieu, le matin, entre 8 h et 10 h et le soir, entre 20 h et 22 heures. Résultat, seuls 6 % des touristes assistent à ce spectacle rare. 

Il faut compter, au moins 40 minutes, après la haute mer, pour passer sur le gué libéré. Malgré cela, pas mal de gens ont les pieds trempés, car ils n’ont pas la patience d’attendre que la mer se retire. Les touristes asiatiques, sous pression, n’ont pas de temps à perdre. Au début, certains Japonais passaient avec de l’eau à mi – cuisse ! Plus maintenant, la police veille, pour des raisons de sécurité. Les jours de grand vent, la houle, bien formée, pourrait  vous renverser sur le gué. 

Une île 40 fois chaque année…

Le Mont insulaire 40 fois par an, ce n’est pas beaucoup. Le gué de l’île de Noirmoutier, le fameux Gois  est recouvert tous les jours. C’est impossible au Mont. On ne peut pas demander aux touristes de patienter 1h30, avant d’entrer dans le monument, le temps que la marée recouvre le gué et se retire. La hauteur du gué conditionne le nombre de marées qui ceinture l’Abbaye. C’est un compromis entre les puristes, poètes et les commerçants, réalistes.

Si vous voulez découvrir le Mont Saint Michel ceinturé par la mer, consultez l’annuaire des marées ( ports de Saint Malo – Granville). Le Mont est isolé, à partir d’une hauteur de 12 mètres 80, indiquée sur le livre. Le record, pour l’année 2020 a été de 13 m 40,  les 11 et 12 mars. 

Les  grandes marées d’avril ont été très frustrantes pour les pêcheurs à pied, confinés. Seuls les Montois et les gendarmes ont pu les admirer.